Aller au contenu

Les Exercices de l’Arquebuse et de la Navigation

Les Exercices de l'Arquebuse et de la Navigation

La société de tir qui porte ce nom est aujourd’hui numériquement la plus grande de Suisse et l’une des plus anciennes. On la connait lors des compétitions sous le nom abrégé de “Arquebuse Genève”. Elle est très vivante et active, accueillant chaque année une soixantaine de nouveaux membres. On peut tirer à son stand de Saint-Georges presque tous les jours de la semaine et plus de 800 de ses membres sont des tireurs réguliers ; il y en a plus de 600 qui ont la licence FST leur permettant de participer à des compétitions externes. Lorsqu’on est admis comme membre, c’est pour la vie, et les démissions ou expulsions sont rarissimes. Il n’y a aucune restriction quant à l’appartenance politique, religieuse, ou au genre de la personne, contrairement à d’autres sociétés de tir qui, aujourd’hui encore, sont exclusivement masculines. Il n’en a bien évidemment pas toujours été ainsi !

A l’origine, les Exercices de l’Arquebuse furent créés à la fin du XVe siècle pour former et entraîner la milice de Genève au maniement des armes à feu, alors tout à fait nouvelles. C’est donc une origine militaire qui, à l’époque, ne concernait que les hommes. C’est en 1474 qu’ils apparaissent pour la première fois, dans un texte de loi qui précisait que 3 prix de 6 florins devaient être attribués, un pour les Arbalétriers, un pour les Archers et un pour les Couleuvriniers. Le terme de « couleuvrine » désignait alors une arme à feu portative longue qui, de nos jours, est plutôt nommée « arquebuse ». Pour bien comprendre l’ancienneté de notre société, il faut réaliser qu’elle existait déjà alors que l’on ignorait en Europe l’existence des Amériques de l’autre côté de l’Atlantique.

La situation politique de Genève, ville du Saint Empire romain germanique, était complexe, la ville étant soumise au pouvoir d’un évêque issu de la maison de Savoie. Avec l’arrivée de la Réforme, les Genevois virent une occasion exceptionnelle pour se libérer à la fois de la tutelle de l’évêque et d’acquérir l’indépendance face au duc de Savoie. Genève adopta la Réforme le 31 mai 1536. La cité pouvait compter sur l’aide du puissant canton de Berne qui avait aussi choisi la religion réformée et avait conquis le pays de Vaud sur le duc de Savoie. Genève devint ainsi une république indépendante, protestante, libre mais menacée. L’importance militaire des Exercices de l’Arquebuse s’en trouva renforcée.

Dès le début du XVIe siècle, un stand de tir avait été établi hors des murs, à proximité de l’hôpital des pestiférés. Il y restera jusqu’à la fin du XIXe siècle et c’est là qu’a été édifié, en 1898, l’Hôtel de l’Arquebuse, siège actuel de notre société.

La fin du XVIe siècle fut mouvementée, avec les guerres de Genève de 1589 à 1593, le duc de Savoie ayant l’ambition de reprendre Genève et d’extirper l’hérésie. Sa dernière tentative militaire fut celle de l’Escalade en décembre 1602, attaque surprise qui échoua de peu.

La République de Genève avait un très petit territoire qui se trouvait enclavée entre son ennemi, la Savoie, catholique, et, dès 1600, le royaume de France, plutôt ami, mais catholique lui aussi. La seule voie sûre permettant à Genève de garder contact avec son allié réformé bernois était le lac. Dans un premier temps ce furent les Bernois qui en assurèrent la sécurité, mais ils demandèrent à Genève de faire aussi un effort et de créer une flotte de guerre.

C’est ainsi que se créa l’Exercice de la Navigation, avec pour but premier de contribuer à protéger le transport lacustre. Cette société, reconnue officiellement en 1677, se développa en société de tir, avec un hôtel et un stand aux Pâquis. Elle organisa aussi des fêtes avec manœuvres nautiques très appréciées du public, tant genevois qu’étranger.

La fin du XVIIIe siècle fut marquée par des troubles politiques, le peuple genevois s’étant soulevé contre le patriciat en 1782. Celui-ci fit appel à l’aide étrangère et des troupes bernoises, françaises et sardes vinrent assiéger Genève, qui finit par se rendre. La milice fut alors abolie et remplacée par une garnison et les Exercices, et autres cercles où pouvait germer une contestation du régime, furent interdits. Dix ans plus tard la révolution chassait l’aristocratie et rétablissait les milices bourgeoises ainsi que les Exercices. Ce fut de courte durée car en 1798 les armées de la République française envahissent Genève, qui est annexée à la France, devenant préfecture du département du Léman. En 1802, sous l’occupation française, les Exercices de l’Arquebuse et de la Navigation furent rétablis.

En 1814 Genève retrouve son indépendance, avec la Restauration et le retour au pouvoir de l’ancienne aristocratie. Elle intègre la Confédération en 1815 et obtient de nouveaux territoires, cédés par la France et la Sardaigne, qui donnent au canton ses frontières actuelles.

Les Exercices de l’Arquebuse furent, pour un moment, concurrencés par une nouvelle société, la Société genevoise des carabiniers, fondée par le futur général Guillaume-Henri Dufour. Cependant, les autorités firent pression pour que celle-ci fusionne avec les Exercices de l’Arquebuse qui venaient de reconstruire leur stand à la Coulouvrenière, et était alors, en 1830, le plus grand stand de tir de Suisse.

En 1851, à la suite du tir fédéral qui eut lieu à Genève, il devint évident que les deux principales sociétés de tir, de l’Arquebuse et de la Navigation, avaient tout à gagner à fusionner, ce qui fut fait en 1858, donnant naissance à la “Société des Exercices réunis de l’Arquebuse et de la Navigation”. Les propriétés foncières de la Navigation furent vendues, les fonds ainsi libérés étant un peu plus tard utilisés pour la construction de l’Hôtel actuel, siège de la société.

Suite à la révolution radicale de 1846 et la destruction de ses fortifications, Genève connut un développement rapide, et le stand se retrouva au milieu de nouvelles constructions, dont une usine à gaz. A la fin du XIXe siècle, il devint urgent de trouver un autre emplacement. Le choix se porta sur les terrains de Saint-Georges, sur les communes du Petit-Lancy et de Onex. A l’époque il était demandé des distances de tir de 300m et 500m, d’où l’importance des surfaces acquises.

Le nouveau stand, inauguré en 1895, fut ensuite plusieurs fois modifié, pour ajouter des cibles pour de nouvelles disciplines de tir, le 50m petit calibre, le 50m pistolet, le 25m pistolet, puis le 10m à air comprimé et finalement aujourd’hui un tout nouveau stand dédié au tir à poudre noire.

En 1849 les Exercices furent reconnus comme fondation genevoise de droit privé. De nos jours, et ce depuis 1940, les Exercices de l’Arquebuse et de la Navigation (EAN) sont divisés en deux entités juridiques distinctes et complémentaires : la Fondation, dont les statuts doivent être avalisés par le Conseil d’Etat, et l’Association. La fondation a pour but de gérer son patrimoine afin de développer le tir et de conserver les traditions historiques et patriotiques. L’association, quant à elle, s’occupe de gérer les tirs. Les EAN peuvent aujourd’hui encore être reconnaissants envers leurs dirigeants passés, qui ont su conserver leurs patrimoines foncier et immobilier ; bien gérés, ceux-ci fournissent à la fondation des revenus confortables lui permettant de soutenir le tir.

Notons finalement, signe des temps, que dès 1971 des femmes furent reçues membres des Exercices, de plein droit à partir de 1978. En 2015, on vit pour la première fois une dame élue au poste de Secrétaire Général, le 3e officier dans l’ordre protocolaire des EAN. Aujourd’hui, une femme est directrice de tir pour la carabine 50m. Et cette présence féminine est heureuse, car il y a parmi elles de très fines gâchettes, qui ont rapporté bien des médailles à notre société.

Gérard Métral,
Ancien Président des EAN et membre d’Honneur